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ÔÈßÉ ÇáÚáæã ÇáäÝÓíÉ ÇáÚÑÈíÉ

 

Histoire de la Psychiatrie Maghrébine

Pr. Slaiem AMMAR

Université de Tunis - TUNISIE

 

Cela fait deux ans que le Pr S.Ammar nous a quitté, Son héritage en matière d’histoire de la médecine et de la psychiatrie est d’une richesse exceptionnelle et surprenant pour le grand clinicien dévoué à la pratique, qu’il fut. Que cette page « manuel de psychiatrie de praticien Maghrébin Ed Masson 1987  » soit un hommage  à sa mémoire.

 

q       Introduction

 

La médecine maghrébine remonte aussi loin qu'il y eut des hommes qui ont vécu et souffert sur le sol de l'Afrique du Nord. Ses prémisses ont débuté, comme chez la plupart des peuples méditerranéens, avec les étapes animiste, empirique puis sacerdotale de l'art de guérir. D'emblée, la dimension psychosomatique avait eu partie liée avec cette médecine et cela tout au long des périodes numide, punique, grecque, romaine et byzantine.

Parallèlement, les concepts de folie et partant de soins à accorder aux aliénés évolueront en fonction des idéologies, du niveau des connaissances et de la prééminence de la raison sur le mythe et vice-versa. Il en sera ainsi pour la médecine maghrébine et arabo-islamique des temps passés pour autant qu'elle aura été, et tout à la fois l'héritière du naturalisme et du rationalisme de la médecine gréco-romaine et du profond humanisme et spiritualisme de l'Islam.

 

q       Texte entier

 

SOURCES LOINTAINES

La préhistoire

Il y a quelques cent mille ans déjà, l'homosapiens - mais aussi faber du Neandertal - construisait naïvement avec des silex, des ossements humains et des boules kouer, autour d'un puits artésien de la région de Gafsa, dans le sud tunisien un hermaïon : le plus ancien monument actuellement connu, édifié par la main de l'homme et cela pour attirer sur les siens les bienfaits des divinités, soulager la souffrance et conjurer le mauvais sort. Cet hermaïon est conservé aujourd'hui à Tunis, au Musée du Bardo. Plus près de nous, Columnata était il y a quelques huit mille ans, le nom d'une tribu mésolithique d'Afrique du Nord, aux confins du sud algéro-tunisien. Comme le prouve la paléopathologie, de pauvres gens paisibles, gros mangeurs d'escargots savaient déjà et non sans quelque efficacité, assister moralement et matériellement leurs proches. Leurs pratiques restaient sans doute marquées par les croyances magico-religieuses qui caractérisaient déjà ce qu'on peut appeler la période « animiste » de la médecine chez les populations berbères autochtones du néolithique. Cette période précèdera l'étape « sacerdotale » de l'Art de guérir que connaîtront plus tard tous les peuples du bassin méditerranéen.

Carthage et la Numidie

Dès le IXe siècle avant J.C., la fondation de Carthage allait étendre peu à peu un vaste empire sur tout le littoral du Maghreb et bien au-delà. Carthage avait son Dieu de la Médecine, Eshmoun, le pendant d'Esculape et connaissait, comme Épidaure, la pratique de l'incubation. Les phéniciens dépositaires très tôt des apports de la Mésopotamie et de l'Égypte antique, notamment en matière de soins, devaient les transmettre à la Grèce, mais aussi les utiliser à leur profit et les développer en terre Nord-Africaine. Ainsi ont été retrouvés nombre de traités concernant des plantes médicinales puniques et africaines, à côté de nombre de fioles ayant dû contenir divers ingrédients à visée thérapeutique.

Les Numides avaient aussi leur Dieu de la médecine, retrouvé sur une stèle des environs de Béjà en Tunisie. Dès l'époque de l'apogée de Carthage et d'Athènes, aux IVe et VIe siècles avant J.C., les prêtres des royaumes de Syphax puis de Massinissa et de Jugurtha en Algérie et en Tunisie, ceux de Bocchus au Maroc utilisaient les amulettes, les filtres et les breuvages dans toutes sortes de désordres du corps et de l'esprit.

Athènes

La médecine grecque, on le sait, avait été elle aussi, dominée par les conceptions magico-religieuses et les pratiques de l'incubation et de la divination par le rêve qui avaient cours dans les temples d'Esculape. Mais Hippocrate (460-365 avant J.C.) devait bientôt localiser dans le cerveau le siège et l'origine de toute vie psychique. La théorie hippocratique des quatre humeurs qui considère les troubles psychiques comme des maladies cérébrales dues à un mélange vicié des humeurs corporelles, sera reprise par Galien et plus tard par les médecins arabes.

Au VI siècle avant J.C., Athènes et Carthage dominaient la Méditerranée et pratiquement le monde civilisé de l'époque et les connaissances de l'hellénisme médical atteignaient sans doute, peu ou prou de ce fait, les rivages du Nord de l'Afrique.

Rome

Après avoir culminé avec Galien, la médecine hellénistique sera marquée par les tenants de l'épicurisme et du stoïcisme qui rechercheront la fin morale consistant à libérer l'homme de la tension des émotions pour lui permettre de parvenir au bonheur, et aboutir à ce principe fondamental de l'ataraxie ou absence de troubles : Cicéron, Soranus, Pline, Celse, Coelius Aurelianus originaire de Numidie et déjà « neurologue de mérite », mais surtout Arétée de Cappadoce, furent de ceux qui ouvrirent largement le chemin à une meilleure compréhension des relations du corps et de l'esprit malades et en conséquence à des descriptions cliniques judicieuses, prélude à des soins de plus en plus pertinents à accorder aux malades mentaux.

Toutes ces doctrines et pratiques de la Rome Antique ne pouvaient pas se limiter à la seule péninsule et devaient ainsi diffuser dans tout l'empire et notamment en Africa, d'Hadrumeturn (actuelle Sousse) jusqu'à Volubilis, de Thysdrus (l'actuel El Djem) jusqu'à Caesarae (Cherchel) en passant par Sefutela (Sbeitla) et Timgad. A l'époque, le pays était déjà doté de médecins officiels payés par l'État, qui portaient le nom d'Archiatri. Saint Augustin par exemple nous rappelle la vie d'un grand médecin du IVe siècle du nom de Vindicianus qui parvint par sa science à le faire détourner de l'astrologie en lui montrant ce qu'elle pouvait receler de charlatanisme et d'imposture. On sait, par ailleurs, que les confessions de Saint Augustin furent un modèle d'introspection psychologique et qu'à ce titre le grand savant théologien passe, pour certains, comme le précurseur de la phénoménologie voire même de la psychanalyse.

Byzance

De fait, l'assistance psychiatrique dans l'Africa chrétienne sera marquée du sceau de ces grands élans de charité chrétienne qui plus tard et, longtemps encore dans l'empire Byzantin, grâce notamment à l'empereur Justinien et à Théodora contribueront à adoucir le sort des aliénés en leur offrant soulagement et réconfort, de l'institution de quartiers d'hospices spécialement réservés à leur intention. Il faudra attendre l'époque arabe pour voir la médecine faire le bond en avant que l'on sait, d'abord dans l'Orient arabe, du temps des Califes Omméïades puis Abassides, puis dans l'Occident arabe dès les IXe et XIe siècles à Kairouan.

L'ÉPOQUE ARABE

Fondements idéologiques

L'Islam, comme l'on sait, a émergé au carrefour des grandes civilisations et religions qui l'ont précédé, notamment en véhiculant l'héritage scientifique et philosophique de la Grèce et de Byzance et en s'enrichissant aux sources de la sagesse hindoue et des cultures syriaque, persane sassanide, voire même de la lointaine Chine. De fait, le message de libéralisme et d'humanisme que le Coran renouvelait à l'adresse de l'humanité devait commander, des siècles durant, l'essor prodigieux des sciences, des lettres et des arts, des rives de l'Indus à ceux de l'Océan Atlantique.

A l'instar de leurs maîtres Grecs qui les ont précédés et des Encyclopédistes de la Renaissance qui furent leurs élèves, les savants arabes embrasseront ainsi toutes les branches du savoir et accorderont immanquablement aux choses de l'esprit une part constante et dominante dans la vie et la destinée des êtres humains. Le message islamique tout de tolérance, de progrès et de fraternité poussera d'autre part à accorder aux aliénés plus d'assistance et de compréhension.

C'est ainsi que le Coran évoque les principes relatifs à l'administration des biens des malades mentaux, en recommandant expressément de les colloquer et de chercher à les guérir, tandis que les Ahadith ou Propos du Prophète insisteront tout particulièrement sur l'encouragement et la consolation spirituelle des malades, prélude au concept de psychothérapie. De sorte que tout au long des siècles, malgré la large part qu'ils accorderont à l'observation concrète des faits matériels, les médecins arabo-musulmans, notamment ceux du Maghreb, seront pour la plupart de grands psychosomaticiens. Leurs principes de base poseront comme axiome intangible l'intrication constante des phénomènes physiques et psychiques. C'est ainsi que très tôt, dans les hôpitaux de Kairouan, de Tlemcen, de Marrakech ou de Cordoue, tout médecin digne de ce nom devait soumettre son patient à un examen systématique complet consigné dans un registre et comprenant outre l'étude des signes physiques toute l'anamnèse et la connaissance du malade, de son caractère et de son milieu.

Hospices pour aliénés

Pour ce qui est plus précisément des malades mentaux, on sait que parmi les tous premiers hôpitaux créés en terre d'Islam, l'Emir El Ouafid Ibn Abdelmelik avait institué l'asile de Damas (707*), dans le but d'interner et d'y soigner les faibles d'esprit, auxquels des donations charitables étaient réservées durant leur séjour et après leur sortie de l'établissement. Puis ce sera l'hospice de Bagdad vers 765*, bientôt suivi par bien d'autres dans le monde arabe, tandis que les premiers asiles d'aliénés bâtis au XVe siècle en Europe, plus précisément à Valence par les religieux espagnols, seront une stricte imitation de celui du Caire, édifié un siècle auparavant. Les célèbres Moristans de Sidi Frej à Fès, de Sidi lshak à Marrakech (XIle siècle)j en seront sans doute une étape obligée, au même titre que les hospices de Tahert ou de Kalaat Beni Harnad édifiés plus tôt encore en Algérie.

Au XVIe siècle, cinq autres hôpitaux psychiatriques seront construits en Espagne, puis sur ordre de Catherine de Médicis, et toujours selon les modèles arabes, les frères Saint jean de Dieu construiront en 1601 la Charité de Senlis et en 1644 Charenton. Le confort et l'agrément de Moristans arabes étaient souvent un modèle du genre. Sait-on assez que les deux fameux lions ornant le bassin du pavillon de la reine à l'Alhambra de Grenade provenaient de l'ancien Moristan de la capitale des Nasrides ? Sait-on aussi que dans son traité médico-philosophique sur l'aliénation mentale, Pinel citait comme modèle de prise en charge des aliénés, l'hôpital de Saragosse inspiré des Moristans andalous et réputé pour sa mise en oeuvre sur une large échelle de l'ergothérapie ? L'emplacement de ces Moristans était en tous cas souvent intégré au coeur de la cité, tandis que l'architecture des bâtiments, généralement sur le modèle des maisons arabes traditionnelles, favorisait le mode de prise en charge communautaire, Ces Moristans étaient généralement gérés par les Wakf ou biens de main morte sous contrôle de l'État. Les soins étaient gratuits pour les indigents et les familles de malades étaient même assistées en cas de besoin. A la sortie, les patients recevaient un important pécule.

Approche Psychosomatique

Au demeurant, le grand essor de cette double médecine du corps et de l'esprit en terre d'Islam ne pouvait nécessairement qu'être le fruit d'études théoriques et d'observations pratiques fouillées, aussi bien dans l'Orient que dans l'Occident arabes. Nombreux furent en effet les traités, ouvrages, maximes, opuscules, épîtres qui seront rédigés au cours des siècles par les médecins arabo-islamiques à propos des relations du corps et de l'esprit, dans la triple perspective diagnostique, prophylactique et thérapeutique.

Le persan Errazi (Rhazès, 850-932"-"), l'immortel auteur du « Continiens », sans doute le plus grand médecin d'expression arabe, semble avoir introduit le premier le terme de « El Ilaj Ennafsani » ou psychothérapie, soulignant combien « il importait toujours au médecin de suggérer au malade la bonne santé même s'il n'y croit pas en son for intérieur car, disait-il, la structure du corps suit les vicissitudes de l'âme ». Ce fut aussi un grand psychosomaticien qui nous léguera nombre d'écrits sur les troubles mentaux et les désordres psychologiques.

Abubekr Er-Razi précédait de quelques décades Ibn AI Jazzar de Kairouan et son influence allait inéluctablement s'exercer au Maghreb à partir du XII siècle de l'ère chrétienne. C'est pourquoi trois des plus importants hôpitaux psychiatriques du Maghreb portent actuellement son nom : ceux de Rabat-Salé, de Tunis et de Tripoli, et en Algérie le service de psychiatrie de Annaba.

Un siècle plus tard, Ibn Sina (Avicenne, 980-1037), le Prince des savants et le plus célèbre d'entre les médecins d'expression arabe sera, semble-t-il, celui qui dans ses démarches diagnostiques et thérapeutiques approfondira le plus les relations du corps et de la pensée. Dans les « Généralités » du Canon, il posait ainsi le principe que « les remèdes psychiques doivent toujours aider la thérapeutique médicamenteuse et la compléter en accroissant la capacité de résistance du malade »... « Nous devons, précisait-il, considérer que l'un des meilleurs traitements, l'un des plus efficaces, consiste à accroître les forces mentales et psychiques du patient (quel qu'il soit), à l'encourager à la lutte, à créer autour de lui une ambiance agréable, à lui faire écouter de la bonne musique, à le mettre en contact avec les personnes qui lui agréent, qu'il respecte et en qui il a confiance. » Nombre d'anecdotes où Nawadir montrent assez à quel degré était parvenue la finesse psychologique du « Prince de la Médecine » dont certaines des célèbres interventions psychothérapiques s'inscrivent dans la plus pertinente des perspectives phénoménologiques.

Une notion capitale dans les études psychologiques arabes et islamiques réside dans la trilogie de la Nafss qu'on peut superposer aux trois instances psychanalytiques de la personnalité : la « Nafss Ech'errira » ou âme malfaisante correspondant au Ça, la Nafss El Lawouama ou âme blâmante équivalent à la censure du Surmoi et la Nafss El Motmainna ou l'âme équilibrée et rassérénée : le Moi. Ces trois instances devaient dominer chez les médecins arabes toute la problématique des conduites psychologiques et morales de l'individu.

Par ailleurs au XI siècle, les frères de la Pureté ou Ikhwan Assafâ passèrent maîtres en musicothérapie mais aussi pour les lointains précurseurs de la psychanalyse pour autant qu'ils tentaient d'analyser la personnalité des patients après les avoir mis en confiance et les avoir poussés à exprimer clairement leurs pensées et affects dans une sorte d'association libre sans l'intervention de quiconque.

Au surplus, avant et après Avicenne, toute une pléiade de savants à la faveur des grands courants mystiques de l'Islam - notamment du soufisme s'étaient attachés à explorer les profondeurs de l'âme humaine parmi lesquels en Iran, le philosophe psychologue et musicologue néoplatonicien, El Faraby (870-950) et le grand philosophe et éducateur l'Imam AI Ghazali (1058-1111) célèbre pour son idéologie de la juste mesure, pour son admirable auto-analyse introspective évoquant celle de Saint Augustin et pour ses études sur le conditionnement et l'apprentissage qui le font considérer, par beaucoup, comme le fondateur des écoles de psychologie islamique. De fait, l'intense spiritualisme qui animait nombre de médecins arabes devait leur faire embrasser très tôt la doctrine soufi, mystique de la connaissance de soi qui imprégnera profondément, comme l'on sait, le monde musulman. Ainsi, à la faveur d'un suprême élan vers la transcendance, auquel on parvient par le long chemin de l'ascèse, le soufisme sera aussi pour les savants médecins maghrébins, une thérapeutique.

C'est ainsi qu'au XIIème siècle, chevauchant l'Andalousie et le Maroc, le grand poète et philosophe mystique Ibn El Arabi, l'élève d'Ibn Rochd analysera admirablement les méfaits des passions et de la colère sur l'équilibre du corps et de l'esprit ainsi que les divers moyens de les prévenir et de les dominer. Ibn El Arabi sera le Maître incontesté du Soufisme maghrébin, qui compta deux autres grands adeptes, en premier lieu, Sidi Boumédiène patron de Tlemcen, héros des Croisades d'où il revint mutilé d'un bras et qui séjourna longtemps comme Ibn El Arabi à Bougie, et en second lieu, Sidi Belhassen Echadhely patron de Tunis et fondateur de la célèbre Tariqa Echadhylia. Ces trois grands savants accordèrent, chacun à sa manière, le plus vif intérêt à l'analyse psychologique, à l'art de la physionomie, dont notamment Ibn El Arabi était un fin théoricien et pour lequel Sidi Boumédiène avait aussi des dons très célèbres qui sont passés dans la légende.

Au surplus, de même qu'ils furent de grands poètes, les arabes ont toujours été férus de musique et de chant. C'est pourquoi leurs médecins utilisèrent largement la musique pour distraire et apaiser les tourments de leurs patients et en premier lieu des plus malheureux d'entre eux, à savoir les malades mentaux. Certains savants en arrivaient même à classer les différents tempéraments de leurs patients en fonction de leur réactivité à tel mode musical (maqamat), à tel ou tel rythme (wazn, iqa'a) ou à telle ou telle mélodie (Khariât - Mouwachahât). Et ils adaptaient même leur thérapeutique en conséquence, dans de nombreux cas de maladies internes. Et c'est ainsi que les techniques de distraction et de jeux, d'exercices physiques par le sport et les divers concerts de musique offerts si largement aux malades mentaux dans les hospices maghrébins, deviendront presque un adjuvant thérapeutique nécessaire et de routine. Par ailleurs, ce qu'on appelle aujourd'hui la psychopharmacologie a été, comme l'on sait, connue de tous temps et les arabes grâce à la richesse considérable de leur pharmacopée, la hisseront pour l'époque à un degré remarquable. Mais alors que les Grecs considéraient l'opium comme très dangereux, ne l'employant que très rarement, les médecins maghrébins tels Ibn Omrane, Ibn El jazzar et Ibn Zohr en étendront les applications, notamment comme sédatif puissant pour provoquer le sommeil chez les nerveux. Ainsi, les grandes traditions de la pharmacopée arabe devaient prendre un grand essor au Maghreb et en Andalousie, notamment aux XIIe et XIIIIe siècles avec Eccherif Essikily de Tunis, AI Ghafiqi de Cordoue et surtout Ibn AI Baytar de Malaga, le plus grand botaniste du Moyen Age qui devait enrichir considérablement l'herbier de Dioscoride et faire école au Caire et dans tout le Proche Orient.

Nombre de recettes étaient ainsi utilisées chez les nerveux comme les extraits de jusquiame et de belladone. Ainsi, les pilules, les onguents, les électuaires, les confitures et autres robs et sirops constituaient un arsenal extrêmement riche que les médecins arabes, souvent aussi apothicaires, maniaient avec une finesse, un luxe, une méticulosité et une dextérité inouïes.

Ils savaient non seulement « dorer la pilule » mais encore enrober les drogues dans des mixtures agréables extrêmement variées, tout en ayant pour règle d'or, le souci de soigner en priorité par les aliments et d'utiliser de préférence un médicament simple au lieu et place d'un médicament composé et cela toujours en fonction du tempérament et de la complexion physique et psychique de leur patient, règles que nous ferions bien de nos jours de méditer profondément en ces temps où l'invasion pharmaceutique pousse tant de médecins à rédiger des ordonnances de plus en plus lourdes, complexes, onéreuses et finalement dangereuses. Au total et au terme de ce panorama général qui nous a permis d'esquisser les grandes perspectives de la médecine arabe de l'Orient, notamment à travers ses dimensions psychosomatiques, et l'influence qu'elle pouvait exercer de ce fait sur la médecine maghrébine, nous pouvons à présent suivre de manière ponctuelle et chronologique, l'évolution de cette médecine à travers l'évocation de ses plus valeureux pionniers et de ses trajectoires les plus caractéristiques.

 

LES PIONNIERS MAGHRÉBINS DE LA PSYCHIATRIE

L'on sait que c'est au IXe siècle que Kairouan avait commencé à s'illustrer par son enseignement médical, qui ne prit véritablement son essor qu'avec la venue du médecin Ishaq Ibn Omrane, originaire de Bagdad. C'est avec lui, selon les termes du grand historien arabe de la médecine du XIIIIe siècle Ibn Abi Oussaibia, que « la médecine et la philosophie feront réellement leur apparition au Maghreb ». Ibn Omrane, entre autres ouvrages, est notamment l'auteur d'un traité magistral sur la mélancolie. Le manuscrit conservé à la bibliothèque de Munich est peut-être le premier ouvrage à avoir traité de manière complète de la question. Ibn Omrane y analyse de façon magistrale la nature, les modalités, les étiologies et les complications de l'affection en terminant par de remarquables règles hygiéniques morales, diététiques et médicamenteuses. Ainsi, Ibn Omrane décrira toutes les formes aujourd'hui connues (ou presque) des états dépressifs mélancoliques, aussi bien les formes simples que compliquées, celles qui rentrent dans le cadre de la psychose maniaco-dépressive que celles qui compliquent des troubles somatiques variés. Du point de vue de l'étiopathogénie, on remarque qu'aucune influence n'est accordée aux causes surnaturelles, non plus qu'aux démons et aux djinns, alors même que leur réalité était ancrée dans les croyances populaires et qu'à la même époque, en Europe, la possession diabolique représentait l'essence même de ces états. Il en est de même du suicide dont le mot n'est jamais prononcé tout au long de ce traité. Seul le pronostic fatal par inanition progressive sera signalé, jamais l'idée active et encore moins la tentative résolue d'auto-destruction. Ibn Omrane surtout a défini, et semblet-il une fois pour toutes, les grandes lignes de l'éventail thérapeutique qui s'adresse aux états dépressifs : psychothérapie, sociothérapie, physiothérapie, chimiothérapie et thérapie à visée étiologique et hygiénodiététique. Tous traitements s'inscrivant dans le cadre d'une relation médecin-malade basée sur le réconfort moral et qui seront exposés avec une perspicacité remarquable.

Ibn Omrane sera suivi du grand Ahmed Ibn El jazzar, l'auteur du « Viatique » ou « Provision du voyageur », ouvrage dont le tome I traite longuement des maladies du cerveau, notamment des migraines, de l'apoplexie, de la confusion mentale et du délire aigu, de l'épilepsie et des tremblements. D'Ibn El jazzar nous avons un ouvrage sur le mal d'amour. Le Viatique, fait rarissime, a été traduit en grec presque du vivant de son auteur et sera l'un des premiers traités de médecine arabe à être connu en Occident ; une de ses traductions latines enluminées à appartenu à Napoléon Bonaparte. Poète, historien, psychosomaticien, Ibn El Jazzar fut notamment l'auteur d'un remarquable traité de puériculture et de psycho-pédagogie de l'enfant, peut-être le premier du genre dans la médecine arabe avec celui de l'andalou Said Ibn El Arib El Kortobi, son contemporain.

En Algérie, et en ce même XI siècle, Ali Ibn Mohamed exerçait aussi à Annaba. C'était, à l'instar de ses collègues de Kairouan, un Fakih El Badane (ou connaisseur du corps). Mais ses connaissances embrassaient aussi le domaine de l'esprit et il en était de même à Oran pour Abdallah Ibn El Ouahrani au début du XIIe siècle et de l'Imam médecin Assem Essadrati originaire de Sadrata, deuxième capitale Ibadite édifiée par les Rostomides, qui, devant la poussée fatimide, avaient fui Tahert pour le Sud Algérien.

En ces mêmes temps, en Andalousie et au Maghreb, la pratique médicale s'épanouissait avec le restaurateur de la chirurgie Abulcassim Ezzahraoui (Abulcassis) pionnier de la neurochirurgie, suivi au siècle suivant par le grand Ibn Hazm, moraliste, sociologue, philosophe platonicien et poète de l'amour, qui sera notamment l'auteur d'un fameux traité sur « les caractères et les comportements ». Tous deux accorderont autant d'importance à la médecine du corps qu'à celle de la personne dans son entier.

La plupart des ouvrages maghrébins mais aussi orientaux de médecine seront alors, comme l'on sait, transmis à l'Occident à travers deux pôles principaux : dès la fin du XI siècle celui de Kairouan-Palerme-Salerne et Padoue, et tout au long du XII' siècle celui de Fès-Cordoue-Tolède et Montpellier.

A cette époque et principalement du XIe au XIIe siècle, dans le Maghreb extrême, les sciences médicales s'étaient enrichies de l'apport original de savants de génie. Ainsi, Avenzoar ou Ibn Zohr de Séville (1101-1161) issu d'une noble famille de lettrés et de médecins, exercera les plus hautes fonctions tant en Andalousie qu'au Maghreb à l'époque Almohade et Almoravide et sera peut-être le plus grand médecin de souche authentiquement arabe (Avicenne, Rhazès et. Hally Abbas étant d'origine persane, comme l'on sait). Son « Kitab Ettaysir », qui représente l'un des meilleurs traités de médecine clinique arabe jamais écrits, renferme des études pertinentes sur les maladies du cerveau et du névraxe, en particulier sur les comas, l'apoplexie, les convulsions, les épilepsies, les tremblements, la migraine, l'hémiplégie voire les états démentiels et la catatonie. Mais ce clinicien hors pair qui eut l'originalité de ne pas verser comme tant d'autres dans la philosophie, disait aussi dans son livre de « la confrontation des âmes et des corps » (Kitab El Iktisad fi islah al Anfussi wal Ajssed) que « la médecine des corps est bien connue, mais que celle des âmes est bien plus noble et plus importante ».

Ce XIIe siècle verra les apports successifs de Abubekr Ibn Tofail, (Abentofal), Ibn Baja (Avenpace), mais c'est surtout la figure d'Ibn Roschd (Averroes, 1120-1198) qui tranchera, médecin et philosophe rationaliste, à l'audace sans précédent, que Dante et Albert le Grand notamment ne cesseront d'admirer et de commenter. Natif de Cordoue, Averroes séjournera longtemps au Maroc puis dans tout le Maghreb où il aura de nombreux disciples dont Ibn Ramama en Algérie, l'un des esprits les plus savants que comptera alors la Kalaat des Beni Hammad, solide place forte du Maghreb central. L'universalité intellectuelle, la liberté d'esprit d'Averroes l'apparentent à Avicenne qu'il dépassa cependant en combativité dans la défense de ses opinions philosophiques. Dans le domaine médical, il nous légua son célèbre compendium ou Colliget, en arabe « Koullyat » ou livre des généralités, dont le tome 2 traite tout particulièrement du cerveau, dans la double perspective psycho-physiologique : cet organe noble qui, dit-il, possède quatre propriétés essentielles dont l'imagination, la réflexion, la mémoire et la conservation. Le « Colliget » sera enseigné en Europe jusqu'au XVIIII siècle.

Averroes composera nombre d'autres traités de médecine dont, en particulier deux sur les tempéraments (fi asnaf al mijaz) aujourd'hui conservés à l'Escurial, d'autres sur les causes et les symptômes, les médicaments simples, les lieux affectés, l'art de guérir. Comme Rhazès et Avenzoar, Averroes contrairement à la doctrine de la prognose d'Hippocrate et de Galien, croyait dans la puissance extraordinaire des forces psychiques et dans cette perspective, il recommandait de lutter sans désemparer jusqu'au dernier souffle du patient et de ne jamais désespérer du pronostic, quoiqu'il arrive.

Élève et ami d'Averroes, natif lui aussi de Cordoue et ayant partagé sa vie entre l'Espagne, le Maroc et l'Égypte, Maïmonide (1135-1204), le chef spirituel du judaïsme au Moyen Age, compte parmi les médecins qui exercèrent leur génie à travers la langue arabe. De tous ses ouvrages, on doit citer le livre d'hygiène dédié au fils aîné de Saladin, intitulé « Sur le régime de la Santé » et dont le 31 chapitre contient un cours complet sur l'hygiène de l'âme avec citations des oeuvres philosophiques d'Aristote et d'El Faraby. « La guérison, disait le grand psychosomaticien que fut Maïmonide, est le retour à un équilibre antérieur momentanément perturbé par la maladie et auquel on doit parvenir de nouveau, non seulement par les ressources du corps, mais aussi par les facultés de l'esprit. »

Et c'est ainsi que les grands courants médico-philosophiques continuèrent à circuler d'Orient en Occident jusqu'au XIIII siècle.

 

APRÈS L'APOGÉE

La prise de Bagdad par les Mongols devait imprimer un coup d'arrêt à l'essor de la civilisation islamique encore que des lueurs persistantes continueront à briller ici et là.

A cette époque et parmi la famille des « Essikily » qui monopolisa la médecine à Tunis, deux siècles durant (du XIIe au XIVe siècle), on doit encore citer Mohamed Ec-Cherif Essikily. Son ouvrage fondamental : « El Mokhtassar El Farissi » renfermera de longues analyses sur le mouvement et le repos, le sommeil et l'état de veille, les émotions et les attaques hystériques que cet auteur a particulièrement bien étudié. Ainsi utilisait-il dans les paralysies hystériques les effluves électriques irradiées par le poisson torpédo (la torpille) que l'on trouve souvent sur les côtes de la Méditerranée.

En Algérie, citons encore Abou El Abbas El Jed originaire d'Isfahan et qui exerça à Bougie au début du XIVI siècle. Bougie (ainsi que Tlemcen) était alors un brillant centre intellectuel et religieux qui attirait de toutes parts les savants et les lettrés, et dont l'éclat sera rehaussé par l'apport de nombreux savants andalous qui s'y réfugièrent au cours de la Reconquista.

Le génial historien et sociologue maghrébin Ibn Khaldoun, né à Tunis en 1332, mort au Caire en 1406, mais qui exercera longtemps dans les cours de Fès et de Tlemcen fermera les derniers maillons de la chaîne qui enserre et délimite les problèmes posés. Il proclamera avec force l'influence décisive du milieu sur l'individu, la prédominance des événements vécus sur l'hérédité, de l'acquis sur l'inné, de la culture sur la nature. Ibn Khaldoun en parlant de la médecine fustigera dans ses fameux « Prolégomènes » les pratiques magiques, horoscopiques et cabalistiques et autres méthodes faisant appel au surnaturel qu'il tiendra pour irrationnelles, non scientifiques et contraires à l'esprit profond de la religion islamique. Ce sursaut éclatant du grand savant maghrébin ne pouvait cependant qu'être éphémère. Ibn Khaldoun qui servit tour à tour différents souverains fera l'amère expérience de l'instabilité des situations politiques en une période fertile en désordres, qui annoncera dès lors le déclin progressif du monde arabo-musulman.

Le tournant du XVème siècle

Dès lors, l'assistance arabe aux aliénés, en avance sur le reste du monde du VIIe au XIIe siècle, ne fera plus de progrès. Elle devait, à partir du XVe siècle, retomber dans la phase sacerdotale encore que les théories humorales et les tempéraments, joints aux puissants impacts des invocations magico-religieuses pouvaient avoir pour nombre de malades mentaux un effet salutaire. Ainsi le maraboutisme avec ses cérémonies extatiques, ses danses sacrées et ses débordements mystiques devait offrir, pour beaucoup, un puissant exutoire.

Comme nous avons pu le vérifier encore récemment dans certaines de ces cérémonies qui ont toujours cours à l'heure actuelle, l'impact psychothérapique apparaît parfois véritablement fabuleux. La suggestion joue puissamment auprès de malades particulièrement réceptifs qui expriment littéralement et librement sous l'impulsion du thérapeute, leurs désirs et craintes réprimées. Ces véritables psychothérapies de groupe auxquelles participent les parents et les amis offrent ainsi aux patients d'authentiques soupapes de sûreté à la fois apaisantes et libératrices, d'où la disparition des troubles mineurs, une atténuation certaine de la souffrance, même si elle ne devait être que provisoire dans les états graves à forte composante organique ou psychotique. Quoiqu'il en soit et à partir du XVIe siècle, le retour en force de la géomancie, de la talismanique, de l'astrologie et des sciences occultes devait de plus en plus influencer l'approche diagnostique et thérapeutique des malades mentaux.

Seuls les cas gravissimes, où pouvaient être incriminés de lourds facteurs somatiques, restaient sans doute inaccessibles aux thérapeutiques traditionnelles. Ils n'en bénéficiaient pas moins de la tolérance du groupe, puisque aussi bien les malades graves ou chronicisés restaient, certes isolés et de quelque manière réprimés, mais néanmoins au sein du foyer. En effet, le solide ciment qui soudait les uns aux autres les membres de la famille élargie, devait pendant longtemps offrir de puissants moyens prophylactiques. La prise en charge restait de la sorte et en un sens essentiellement familiale et communautaire, l'exclusion étant l'exception. Parallèlement à cet état de choses, les Moristans - on le comprend aisément - tomberont peu à peu en décrépitude encore qu'il s'en créa de nouveau, par exemple à Tunis, celui édifié par Hamouda Bacha en 1663, et en 1775 la Tékia (hospice charitable), lointains et pâles reflets des Bimaristans turcs, dont certains pourtant, comme le relatera en son temps Moreau de Tours, restaient un modèle du genre : « Celui qui se rapprochait le plus de l'idéal d'Esquirol. »

C'est ainsi qu'au XVIIIIe siècle et bien que la médecine maghrébine s'enlisait alors dans le culte des santons et des marabouts, certains praticiens de valeurs se distinguaient par-çi par-là : Abderrazak Ek Djazairi (Alger), Ahmed El Bouni (Annaba)... Abderrazak El Djazairi dans son livre Kachf Erroumouz ou Révolution des Énigmes, mentionne nombre d'expressions locales dont certaines empruntées au langage kabyle. Fait remarquable, l'auteur n'invoque ni l'autorité du Prophète, ni l'emploi des moyens superstitieux. D'autres de ses écrits ont trait aux relations entre les médicaments et les tempéraments et insistent sur les affections des organes génitaux et notamment sur l'impuissance sexuelle. Là encore l'approche psychosomatique de la maladie y apparaît prévalente. En Algérie encore et au début du XVIIIe siècle à Annaba, AhmedEl Bouni nous léguera aussi un traité de pharmacopée en rapport avec les tempéraments.

Plus à l'Est, à Tunis, au début du XVIIIe, siècle, la princesse Aziza Othmana, petite fille d'Othman Dey, léguait son immense fortune à des oeuvres charitables dispensant de larges donations aux malades et nécessiteux et en premier lieu aux aliénés. A l'intention de ces derniers des distractions et concerts seront maintenus jusqu'à une époque récente, précédant de peu le Protectorat Français. Avant 1881, il existait ainsi à Tunis quelques établissements de bienfaisance publics où étaient parqués les malades psychiques trop agités, irrécupérables et sans doute « organiques », ou encore sans familles. C'est à leur intention qu'étaient consacrées ces donations. Mais leur condition ne pouvait, avec le temps, que devenir aussi déplorable que celle qui, avant Pinel devait prévaloir à l'hospice de Bicêtre. Cependant, la première « révolution psychiatrique » qui devait marquer le tournant historique du XIXe siècle en Europe n'atteindra finalement le Maghreb que de façon tardive et quelque peu « amortie ».

L'hospice AI Azzafine de Tunis (qui signifie hospice des musiciens) avait perdu, avec le temps, sa vocation humanitaire primitive. Transféré dans les locaux du futur hôpital Essadiky, il y abritera les malades mentaux dans les conditions les plus précaires, conditions dont Guy de Maupassant dans son livre « La vie errante » devait faire une description des plus saisissantes.

Et pourtant, les premiers médecins maghrébins formés en France commencèrent à y exercer tel Kaddour Ben Ahmed. Cet Algérien, originaire de Blida et diplômé de la Faculté de Médecine de Montpellier, devait rejoindre sa famille installée à Tunis. Et c'est le même Guy de Maupassant qui en fera l'éloge en tant qu'adjoint du Dr Maschéro. De fait et en 1879, deux ans avant l'installation du protectorat français, était fondé en grande pompe par Sadik Bey l'hôpital Essadiky (actuellement CHU Aziza Othmana). Sur les quelques 100 lits puis bientôt 190 que comportera cet établissement, une trentaine seront en principe réservés aux aliénés.

A cette époque au Maroc fonctionnait encore, notamment à Fès, l'hospice de Sidi Frej, qui datait des Princes Mérinides. Il abritait, lui aussi et depuis bien longtemps, des aliénés, grâce à de riches donations qui permettaient au médecin andalou Frej AI Khazragi (lequel donna son nom à l'hospice) d'apporter à ces malheureux soulagement et réconfort, grâce aux concerts de

musique andalouse et autres activités récréatives et cela depuis les temps où en Europe même, l'on brûlait le plus de sorciers. Quoiqu'il en soit, d'après le psychiatres Lwoff et Sérieux, il y avait encore en 1911 à Tanger, Azila, E Arrache, El Ksar, Fès, Rabat, Salé, Casablanca, des établissements de bienfaisance où seront recueillis (dans des conditions précaires) les malade indigents, les vagabonds et les aliénés. De fait, avec la rentrée en force d l'astrologie, de la géomancie et des croyances aux talismans et sortilèges, 1a médecine mentale avait peu à peu dépéri dans le culte des derviches et de marabouts, encore que dans certains cas, ces pratiques magico-religieuse restaient, comme on l'a vu, singulièrement efficaces. De sorte qu'entre une tradition authentiquement scientifique à ses origines mais amoindrie par le temps et un savoir-faire empirique souvent entaché de magie, la distinction deviendra dans l'ensemble de plus en plus difficile à opérer d'autant plus que les deux courants (et ceci pas seulement au Maghreb) ont de tous temps interféré jusqu'à nos jours, le second reprenant plus de vigueur au fur et à mesure que s'épuisaient les sources du premier.

Il faudra donc attendre le XXe siècle pour sentir les prémisses du renouveau actuel que va fatalement provoquer, par une espèce de choc en retour, le contact avec l'Occident. Ce choc en retour sera subi encore plus tôt en Algérie du fait même de la colonisation. Quoiqu'il en soit et depuis le début du siècle, le Maghreb devait entrer dans une phase décisive de son évolution. L'apport direct et décisif de la médecine européenne : italienne, espagnole et surtout française, joint à la formation continue en Europe, notamment en France, des médecins maghrébins, permettra à ces derniers par communication directe avec l'Occident de renouer avec la chaîne des traditions, en vue de faire ressurgir la sève de la souche ancestrale.

A l'orée du XXe siècle et jusqu'aux indépendances, les débuts furent difficiles et ce n'est qu'après bien des avatars que finalement, et dans les trois pays du Maghreb, pourront être mises en place les deux lignes principales d'assistance, la première celle du service de psychiatrie de l'hôpital général respectivement aux hôpitaux Charles Nicolle de Tunis, Mustapha d'Alger et au futur hôpital Averroes de Casablanca, et la seconde celle des grands asiles que furent ceux de la Manouba en Tunisie, de Blida en Algérie et de Berrechid au Maroc.

 

CONCLUSION

Ainsi, la médecine maghrébine des temps passés a été successivement marquée par les étapes animiste, magique, empirique et sacerdotale puis rationnelle et scientifique que scandaient, à travers les siècles, les apports phéniciens, gréco-romains, byzantins puis arabes, et de nouveau européens, en premier lieu ceux de la France. Tout au long de cette évolution, elle a toujours privilégié à la base de la maladie l'intrication de la psyché et du soma - du spirituel et du corporel - que cela ait été dans l'ordre mythique ou dans une perspective clinique plus rationnelle.

La médecine maghrébine, notamment dans son volet psychiatrique, a souvent su privilégier au plan de la prise en charge des malades, les valeurs islamiques de charité, de bonté, de miséricorde et de solidarité interhumaines, lesquelles venaient renforcer dans l'ordre de l'hygiène mentale celles de la tempérance, de la patience, de la mesure, de l'acceptation sereine des malheurs tout autant que de la détermination et du courage face à l'adversité et dans l'ensemble celles qui consacrent les devoirs de l'individu envers la famille et le groupe, et vice-versa. Autant de préceptes qui reprennent la déontologie hippocratique et en élargissent les horizons. Autant de principes aussi qui - on ne l'oublie que trop souvent - revêtent la plus haute importance dans l'ordre de l'hygiène mentale et des soins accordés aux malades y compris et surtout aux malades mentaux.

De fait et de nos jours encore, tout citoyen maghrébin ne peut rester insensible à cette approche, que du plus profond de lui-même. Il revendique et exige de son médecin traitant et avec d'autant plus de force qu'il se trouve transplanté hors de son pays d'origine. Encore faut-il que les psychiatres maghrébins se remettent intensément à l'écoute, à la fois de leur patrimoine médico-historique et de la quête profonde de leurs concitoyens .

 

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