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Anthropologie Du Savoir Dans Le Monde Arabo-Musulman"

Docteur Rita El Khayat

Médecin Psychiatre Anthropologue  / (Maroc)

E.mail : ritainielkhayat@marocnet.net.ma

 

    « Tout comme les Iraniens avaient envahi, chargés d'achats effectués en Europe ou aux Etats- Unis, le point de rencontre de leur vol, à Heathrow, Londres, l'aéroport de Téhéran était mutuellement plein de travailleurs émigrés pakistanais qui, eux, avaient fait leurs courses en Iran. lis ployaient sous les boites, les malles, les grandes valises de carton attachées par des ficelles, de grands emballages bruns portant les noms les plus fameux, Aiwa, Akaï, Toshiba, National, ces marques du nouveau bazar universel ou les marchandises ne paraissaient plus dépendre d'une culture, d'une volonté ou d'une civilisation particulières mais n'étaient que des produits issus des richesses naturelles du monde. »

 

    V.S. NAIPAUL: Crépuscule sur l'Islam ( Voyage au pays des croyants ) Ed. Albin Michel, Paris, 1981. Edition originale: Among the believers ( An Islamic Journey ) Andre Deutsch Ltd, London.

 

    Cette phrase de Naipaul est d'autant plus intéressante pour ces propos que l'auteur est un Indien né et élevé en Amérique Latine, à Trinidad Y Tobago, et qu'il vit et écrit en Angleterre... Il est indien d'origine comme Salmane Rushdie qui, lui, est musulman à l'origine, mais semble plutôt de religion hindouiste. On aura l'occasion de revenir sur ces écrivains comme émergence de mondes culturels si différents et si semblables.

    Si l'on doit réellement exploiter l'article de G.Bibeau: « Cultural psychiatry in a creolizing world: questions for a new research agenda. », il faudra mettre à l'épreuve tous les concepts qu'il avance dans le domaine de l'anthropologie en général et de la psychiatrie culturelle en particulier dans ces autres mondes, sociétés et cultures différentes éloignés à tous points de vue des matrices conceptuelles de l'Europe et du bloc nord américain.

 

Considérations générales.

    En tant que psychiatre exerçant au Maroc et ayant été formée en France à l'ethnopsychiatrie et à l'anthropologie, je n'ai pas pu développer mes connaissances avant de soumettre ces sciences à un certain nombre de questionnements dont la plupart sont encore sans réponses: le plus taraudant est celui du transfert des Sciences et des Techniques de l'Occident vers le monde arabo-musulman, travail présenté à Paris en 1979 et resté sans suite car les recherches en France sont centripètes et rarement centrifuges d'autant plus qu' actuellement il serait normal que ce monde et le reste du tiers-monde commencent à élaborer une pensée intrinsèque sur eux-mêmes alors que leurs penseurs ne produisent réellement qu'une fois « déportés » en Occident.

    Je suis persuadée que l'on pourrait arriver dans le tiers- monde (il n'y a malheureusement aucune autre manière de parier de tout le reste du monde qui n'est ni occidental ni ex-communiste) à conceptualiser et à produire intellectuellement ce qui est lui est nécessaire pour son accession à ses potentialités. A mon avis les définitions économico politiques du tiers-monde ont échoué à le définir et à le faire progresser ; ce ne pourra être que l'approche anthropologique qui y parviendra...

 

    Mais qu'en est-il du Monde de l'Islam par opposition au monde musulman, appellation qui l'homogénéise faussement? Le cinquième de l'humanité numériquement est musulman et les musulmans sont implantés sur les cinq continents de façon non homogène: des pays intervient ici le concept politique de nations- sont totalement musulmans; des musulmans sont ailleurs des minorités avec toutes les spécificités des minorités, parfois dispersés en diasporas éloignées ou encore en « poches » de populations comme en Chine ou en ex-Yougoslavie, parfois en agglomérats fictifs de populations reliées par l'islam seulement comme c'est le cas des Black Muslims, monde islamique de revendication d'un type nouveau créant un groupe ethnico- religieux qui, auparavant, se définissait par sa seule négritude.

    Cette dys-continuité ethnique diversifie à l'infini les problèmes socioculturels et anthropologiques des musulmans créant des dys-continuités dans les concepts mis en place pour aborder l'ensemble des sujets d'étude s'offrant aux anthropologues et aux psychiatres à vocation culturelle. L'outil anthropologique est remarquable surtout eu égard aux caractéristiques actuelles du monde musulman et cela n'est pas une contradiction comme on le démontrera plus tard. En fait cette relecture de l'article de Gilles Bibeau me place dans une donnée anthropologique qui reste intégralement à définir ou à inventer: celle de l'anthropologue dans « l'entre-deux », dans l'interface, recevant cette science d'une culture extérieure à la sienne dans laquelle il travaille et a à l'utiliser. Le problème n'est pas tant de s'en servir comme outil de travail que de le rendre efficace et homogène au milieu d'« importation ». Et là est la difficulté. Cela va nous amener à remonter dans le temps. En effet dans l'« entre-deux » vivaient, il n'y a pas si longtemps, l'Ethnologue, observateur d'un peuple, l'Ethnos, dont il ne faisait pas partie culturellement, linguistiquement, religieusement et historiquement. Ainsi Margaret Mead en Océanie, Georges Devereux chez les Indiens des Plaines aux Etats- Unis ou chez les Sedang Moï de Malaisie, Lévi-Strauss en Amazonie, Pierre Verger au Brésil et au Bénin, Ruth Bénédict en Inde, tous ces spécialistes et bien d'autres illustrent la concomitance du phénomène ethnologique comme relié à celui de la colonisation, domination violente ou symbolique d'un peuple par un autre.

    M. Mead a étudié les mœurs sexuelles en Océanie au début de ce siècle car la puissance technologique et intellectuelle de son propre peuple lui permettait de se porter vers d'autres cultures et d'autres civilisations alors qu'une insulaire d'Océanie n’aurait jamais pu faire le  voyage et la démarche inverses aux mêmes époques. On ne parlera pas de la femme musulmane aux mêmes moments parce qu'elle était encore en dehors de toute historicité.

    C'est pour cela que l'Ethnologie et les sciences dérivées ou annexes paraissent liées à un moment historique de l'humanité, celui de la colonisation, phénomène unique de l'histoire récente par son ampleur: au début du vingtième siècle l'Europe investissait tout le reste du monde connu de façons différentes seulement dans la nature de l'occupation tandis que le bloc américano-canadien construisait une « puissance » spirituelle et matérielle qui avait fait l'économie de l'investissement effectif hégémonique des territoires de peuples à conquérir. En réalité les choses sont plus complexes encore. En fait l'Europe s'était emparée depuis cinq siècles de l'Amérique « latine », avait essayé de conquérir les Etats-Unis et le Canada en les laissant dans son sillage mais ce sont les populations originaires de l'Europe qui seront les « White » aux prises avec les indigènes do l'Amériques du Nord et puis plus tard avec les « Black » issus du commerce des esclaves. Plus tard l'Europe partait vers l'Asie, l'Afrique et l'Australie ou elle reproduisit à peu près le même système qu'en Amérique. Il ne faut pas oublier que les Philippines portent le nom d'un roi espagnol dans les temps glorieux ou l'Espagne voguait sur toutes les mers connues... Les musulmans à ces époques avaient été arrêtés dans leurs conquêtes et formaient un espace clos qui serait balayé par les incursions coloniales.

    L'anthropologie historique est indispensable pour, un jour, rassembler les êtres humains autour de l'idée des vagues migratoires, des conquêtes, des guerres, des « pacifications », pour qu'advienne un autre type de relations entre les peuples dépassant le racisme, la xénophobie et les conflits idéologiques ou sanglants car, de nos jours encore, les instincts guerriers et de violence n'ont pas disparu comme s'ils faisaient partie intrinsèque de la qualité même d'humain.

    C'est ainsi que les peuples ont quand même cherché à évoluer vers d'autres types d'organisation politique après la décolonisation massive des entités sous domination coloniale. C'est la première fois dans l'histoire humaine également que des conquérants acceptent de quitter des territoires soumis par la force dans les périodes contemporaines alors que ce n'était pas le cas, autrefois, à la suite de pressions internationales organisées et du principe d'accélération de l'histoire humaine telle que nous la vivons maintenant. A mon avis et en tant que personne née sous domination coloniale, l'Ethnologie fait partie d'une époque révolue et il semble impossible d'être ethnologue dans sa propre culture alors que l'on peut tout à fait y être sociologue ou  anthropologue. L'ethnologie est née en même temps que la colonisation et elle lui était essentielle pour te comprendre et gérer les populations dominées de même que les écoles de langues orientales ou autres; le ressentiment du chercheur vis-à-vis de la colonisation et de ce qu'elle a engagé dans son peuple et sa propre personne est trop récent pour que l'on puisse parler d'égalité réelle dans les relations entre les « mondes scientifiques ». Il y a la parole absente des tiers-mondistes dans le domaine de toutes les recherches scientifiques qui a laissé la place à d'autres formes d'expression comme si la sphère intellectuelle leur étant barrée il ne restait que les passages à l'acte accessibles à d'autres individus non inhibés dans les comportements. C'est le problème de toute la création intellectuelle et scientifique dans le tiers-monde depuis l'autonomisation des peuples anciennement sous domination coloniale.

         Cela renvoie à l'assertion de G.Bibeau essentielle à ce niveau de développement: les personnes vivent dans des socio cultures dominées de façon croissante par des experts, des gestionnaires et une nouvelle économie du savoir basée sur un degré élevé d'instruction fonctionnelle ». Cela mérite approfondissement car cette loi est fondamentale tant par rapport à ce qui précède que par rapport à ce monde de l'islam pris comme objet d'étude:

1-       est-ce le cas de toutes les socio-cultures existant actuellement?

2-       le savoir est-il devenu une « denrée universelle »?

3-       le savoir est-il désigné ici comme liée à l'alphabétisation?

4-       le savoir s'il suppose des experts, des directeurs, une gestion de sa fonctionnalité, est donc capital pour l'homme actuel.

       Ces questions nous amènent à penser que le Savoir est divers et que, intrinsèquement, il est une ramification de tous les savoirs. Il est de surcroît et surtout un pouvoir que seuls quelques-uns détiennent. Ainsi il y aura deux sortes de dominés: tous les analphabètes du monde en nombre très considérable dans le tiers- monde mais également les sous- ou mal- instruits dans le monde avancé qui seront des exclus au même titre que les sous-développés. Ainsi une prémisse de résolution de questionnement est dans l'idée vectrice de Bibeau; Cependant pour nous qui travaillons et observons dans le tiers-monde mais restons ombiliqués par notre savoir justement au monde occidental, les savoirs paraissent multiples mais nous serons obligés de les cliver en deux:

1-       tous les savoirs qui sont d'ordre scientifique pur, sciences et leurs applications techniques.

2-       tous les autres savoirs (littérature, arts, traditions et cultures populaires, culture orale) La séparation des savoirs à ce niveau-là n'est pas suffisante car les sciences de l'éducation, les sciences humaines, le cas particulier de la médecine et de la psychiatrie font jouer des mécanismes très sensibles dans les socio-cultures nu elles ont été récemment importées. Nous verrons que seules les sciences pures sont importables sans conditions dans le monde de l'islam et que les autres peuvent être irrecevables

    L'autre concept-clé, celui de la mondialisation et de ce fait de la créolisation, devrait permettre de penser qu'il y a -ou aura- mondialisation et créolisation du savoir et donc des SAVOIRS.

     Or l'abord que l'on peut qualifier d'anthropologie à vocation humaniste, profondément convaincue de l'égalité des ethnies, des cultures, effaçant le degré d'avancement socio-eco-politique entre les peuples, vocation d'ailleurs nécessaire à une déontologie de la recherche, cet abord donc, parait scotomiser les attitudes réactionnelles des mondes qui n'ont pas accès à la création idéique, scientifique et intellectuelle propre à émerger sur la SCENE INTERNATIONALE DU SAVOIR. Cette scène est occupée par deux protagonistes:

1-       l'occident au fait des sciences et des techniques (et tous les territoires d'héritage occidental «  blanc », à savoir l'Afrique du Sud, l'Australie ... )

2-       le reste du monde (ex-bloc soviétique, Asie, Afrique et Amérique latine..), disparate et complexe. Si nous prenons comme objet d'étude le monde dans lequel nous sommes immergés, le monde de l'islam et non le monde musulman, terme réducteur, nous nous rendons compte de deux catégories de phénomènes émergents en son sein:

1.       une position de revendication d'une singularité spécifique à la Umma (littéralement la « Matrie ») mu- sulmane, singularité très complexe.

2.       une contestation de tout ce qui vient de l'occident et de tout ce dont l'occident est vecteur (sciences, techniques niais surtout modes de vie, coutumes, pensée pure, condition des femmes, créations artistiques, conceptions et attitudes devant l'amour, la vie et la mort ... valeurs philosophiques, esthétiques, eschatologie, métaphysique .... etc.)

 

         Pour ne pas se perdre dans des discours aléatoires et parce que le problème de l'islamisme reste entièrement posé, il faut poser deux catégories de faits:

1-       le refus de la mondialisation par les musulmans fondamentalistes, courants très puissants qui balaient de fond en comble le monde de l'islam.

2-       l'impact des nouvelles orientations de recherche sur la psychiatrie culturelle dans la même sphère islamique.

    Avant tout il faut préciser que les idées de l'école actuelle d'anthropologie nord-américaine sont empreintes d'un respect total de toutes les cultures, ce qui anéantit enfin les thèses racistes de l'école d'Alger avec A. Porot et celles de Carothers en Afrique Noire qui avaient conclu tous à l'infériorité des races arabes et noires quant au fonctionnement cérébral des « indigènes » qui utilisaient peu ou pas du tout leur cortex cérébral noble et donc les fonctions supérieures cérébrales. Ces allégations scandalisent toujours et très violemment les psychiatres et très rares anthropologues du Maghreb qui n'ont pas dépassé la blessure narcissique qu'ils portent encore en eux, comme si le fait de savoir n'avait pas guéri en eux leur appréhension douloureuse du fait colonial. (Ces thèses refleurissent dans un livre récent paru aux U.S.A. et qui a divisé l'opinion américaine sur l'intelligence moindre des Noirs américains.)

        Les psychiatres maghrébins savent « tout »: ce qu'est un cortex cérébral, comment il fonctionne, pourquoi il est absurde qu'Arabes et Noirs soient impuissants à s'en servir.... mais ils ne savent pas pourquoi il faut absolument dépasser le problème de leur douleur à évoquer la question. Or cela est absolument nécessaire pour comprendre d'une part pourquoi des scientifiques comme Porot ou Carothers ont conclu à de pareils axiomes et pour réaliser enfin pourquoi la colonisation a eu lieu, pourquoi elle a dû fnùr et pourquoi il faut avancer avec la matrice socioculturelle quelle a laissée en place en se retirant: c'est une forme de créolisation vécue non pas comme une greffe mais comme un cancer.

      Cela étant posé et l'anthropologie pouvant rallier les scientifiques non suspects de racisme ou de désirs hégémoniques sous couvert de la science, reste à résoudre la signification de cette envolée islamique extraordinaire. Peut-on lui appliquer le principe de la mondialisation de tous les systèmes?

      En bref. Le monde de l'islam est au premier rang actuel de la contestation de l'ordre non- musulman. Si l'on se réfère aux thèses racistes précitées, on n'aura aucun mai à admettre cette tendance réactionnelle à un passé récent, douloureux et humiliant pour les musulmans avec d'autres vexations historiques comme celle d'avoir été colonisés par d'autres musulmans à l'époque de la Sublime Porte turque...

    Si l'on rentre davantage dans la problématique on se rendra compte que des mouvements extrêmement profonds agitent sans arrêt le monde de l'islam depuis plus d'un siècle et qui sont ignorés en occident  vu l'hermétisme existant entre occidentaux et (musulmans) orientaux depuis le contentieux gravissime des Croisades en particulier. Ces mouvements et ces courants recherchent un type d'existence, de pensée et de morale authentiquement musulman, non encore réalisé aux yeux des fondamentalistes depuis les premiers temps de l'islam empreints de la pureté des origines et dépravé par le cours de l'histoire du peuple musulman.

    Déjà en 1978, Hélène Carrère d'Encausse prévoyait la chute de l'U.R.S.S. à travers un livre fondamental, « L'empire éclaté »: son argumentation s'étayait sur les stades différents des Républiques Soviétiques d'Asie Centrale par rapport à l'état d'avancement « humain » des autres régions du gigantesque empire soviétique. Ouzbékistan, Tadjikistan, Kazakhstan, Kirghizistan, Turkménistan avaient gardé non seulement une empreinte islamique très forte niais de plus tout y était en place pour l'implosion de l'U.R. S.S. et les conditions de l'implosion étaient anthropologiques:

1-       les caractères religieux avaient résisté à la « soviétisation », c'est-à-dire l'imposition de la laïcité et l' interdiction de tous les cultes religieux.

2-       la condition des femmes était revenue aux stades antérieurs, dévoilées de force lors de grandes cérémonies de type stalinien, elles se remettaient aux coutumes ancestrales dès qu'une foie du régime le permettait

3-       la structure familiale patriarcale, agnatique, patrilinéaire s'était recomposé (ou n'avait disparu qu'en surface.)

4-       la fécondité des femmes y était exceptionnelle et le taux de natalité y dépassait toutes les autres régions soviétiques, ce qui, à terme, allait changer les rapports entre les proportions musulmanes et non musulmanes. On voit d'ailleurs par les guerres serbo-croato-bosniaques que l'appartenance religieuse musulmane est restée prévalente dans l'ex-Yougoslavie et la Tchétchénie démontre que son adhésion au bloc ex-communiste était fictive si l'on en croit à la violence déchaînée entre les deux pays.

        La cohérence organique du monde de l'islam est telle que la Turquie laïcisée de façon drastique par Mustapha Kémal, dit Ata-Turk, le père des Turcs, au début de ce siècle après l'écroulement de l'empire de la Sublime Porte, la destitution du Sultan, le démantèlement des harems, le renoncement aux caractères arabes pour l'écriture latine, etc. est actuellement en proie à la revendication islamique orthodoxe qui oppose les tendances au sein même de l'islam turc.

          Les mêmes phénomènes ont amené la faillite du Chah, le dernier des Pahlavi en Iran, et son départ en exil en janvier 1979 après des tentatives forcenées de « modernisation » de son pays. Entre autres revendications violentes contre les idées du Chah il faut relever la répugnance absolue des Iraniens pour leur passé aryen et perse antique que le monarque avait revalorisé dans l'histoire prestigieuse de la Perse.

         On retrouve ce scotome historique chez les Arabes aussi (évidemment les perses ne sont pas arabes de même que les turcs ... ) puisqu'ils appellent « El Jahhiliyya », l'ère de la sauvagerie, de l'ignorance, littéralement traduit, toute l'histoire arabe antéislamique. C'est un fait troublant qui n'a jamais été analysé par l'histoire anthropologique. Cela se passe comme si les européens stigmatisaient leur héritage gréco-romain par exemple puisqu'il comprenait un polythéisme très éloigné du monothéisme chrétien. Or la pensée platonicienne ou aristotélicienne est revendiquée comme une fierté par l'occident alors que le monde de l'islam ne se prévaut pas des multitudes de civilisations antéislamiques si l'on parcourt rapidement le monde du Détroit de Gibraltar au Mindanao philippin musulman avec toutes les entités noires d'Afrique et les latitudes asiatiques plus au nord.

       C'est ainsi qu'en Chine les musulmans résistent malgré le maoïsme et l'ère communiste à l'intégration dans le reste de la population chinoise comme ce fut le cas en U.R.S.S.

        Ces phénomènes de résistances se structurent très fortement autour de l'identité féminine qui reste le canevas réel de la société musulmane tant la typologie des rôles et des statuts féminins est constante depuis quinze siècles. Même dans le monde de l'islam asiatique et noir, une revendication religieuse, politique et sociale d'un islam fort et utile à tous ses membres est très perceptible. Cette analogie est transposable aussi dans cet islam à visage nouveau, celui des Black Muslims nord-américains qui ont récupéré cette religion à des fins révolutionnaires au sein de la société la plus développée du monde.

        Toute cette mouvance est devenue encore plus tangible grâce aux progrès techniques occidentaux qui ont permis une communication infiniment plus facile et permanente dans le monde musulman. Le penseur e? politique musulman Mohamed lqbal a canalisé la force de la Umma du gigantesque empire indien jusqu'à la partition du Pakistan puis au démembrement du Bengla-Desh à partir de ce dernier.

        C'est dans le contexte islamique asiatico-indien qu'ont émergé les personnalités de Salumn Rushdie et de Taslima Nasreen. Tous deux musulmans de naissance ils sont l'homme et la femme par qui le scandale arrive. Ils sont surtout des révélateurs de l'état d'esprit du monde actuel de l'islam.

        Les déclarations de foi de T.Nasreen sont totalement insupportables pour tout musulman dans le monde car elles violent les règles religieuses et anthropologiques qui constituent le socle même de l'islam depuis les origines et font tomber les tabous qui sont les clés de voûte de tout l'édifice islamique:

1-       elle s'est départie de la réserve exigée de toute musulmane digne de ce nom.

2-       elle a osé critiquer le groupe, violation redoutable d'un tabou puisque chez les musulmans, l'individu n'est qu'un élément de la Umma , le groupement humain musulman universel dont la plus pure expression symbolique est le pèlerinage annuel de la Mecque, phénomène unique par son importance et ses significations.

3-       elle conteste l'ordre sexuel de la société et refus le mariage, attitude abhorrée puisqu'un musulman « ne complète sa religion » que lorsqu'il se marie; elle refuse en plus la maternité, première fonction de la femme musulmane.

4-       elle ose un crime, le plus radical de tous les crimes qu'un être humain musulman puisse accomplir: être athée, le dire et le vivre.

          A ce titre Taslima Nasreen est allée beaucoup plus loin que Salman Rushdie qui s'est rétracté et a voulu ainsi renier son état d'apostasie. Ces digressions nous signalent simplement que l'aile musulmane méditerranéenne et de la Péninsule arabique est beaucoup plus rigoriste et qu'en son sein ces deux écrivains n'auraient jamais pu exister.

         Ces considérations au sujet du monde de l'islam ne sont qu'une infinie partie de tout ce qu'il représente et est anthropologiquement mais ces esquisses permettent de comprendre que les notions de mondialisation et de créolisation de Bibeau, les présupposés de Hannertz: « ... Cultural interconnections increasingly reach across the world. More than ever, there is a global ecumene. », ceux de Weaver etc., ne sont pas adéquats pour le monde de l'islam. Je m'explique. Si effectivement la terre est devenue un « village », ou une « maison commune »,cela ne « marche » pas pm le monde de l'islam on plutôt si: les nouveaux concepts anthropologiques sont les outils qui permettent de comprendre TOUS les phénomènes soumis à l'étude et à l'observation mais dans un SCHISME MUSULMAN non prévu on non pressenti par les anthropologues qui lui sont extérieurs; en d'autres termes, il y a un refus violent de la mondialisation et. de la créolisation dans le monde de l'islam par rapport à TOUT ce qui lui est étranger dans l'essence de la religion islamique qui porte en elle tous les codes sociaux, juridiques, politiques, moraux etc. ... dont cette entité humaine à définition uniquement religieuse a besoin. Plus que cela les intégristes les plus convaincus pensent que toute la science du monde est dans le Texte Suprême, le Coran, avec preuve à l'appui Cependant tous les schémas de réflexion de Bibeau, de Hannerz, de Weaver, de Taylor deviennent valables à l'intérieur du monde de l'islam et pour lui- même grâce à des possibilités qu'il ne possédait pas jusqu'au vingtième siècle, c'est-à-dire les télécommunications, l'aéronautique, les satellites et autoroutes de la communication, l'alphabétisation massive, la médecine moderne, les expériences modernes de gestion et d'organisation ... ! La mondialisation de la médecine moderne, par exemple, a très considérablement changé le visage médical du monde musulman (voir références bibliographiques ).

          L'hygiène, la vaccination, l'accouchement médicalement assisté, les soins pédiatriques ont réduit la mortinatalité, la mortalité maternelle, la mortalité infantile et ont agi sur la longévité humaine sans conteste. En 1978,18000 femmes sont mortes en couches au Pakistan ( Dawn, journal quotidien de Karachi, du 25.12.1978). C'est pourquoi on réunissait la All Pakistan Tibbi Conférence qui devait promouvoir le système Tibbi, mot dont l'origine est la racine arabe TIB signifie médecine, c'est-à-dire la médecine traditionnelle et créer un « Institut national de recherches sur la médecine traditionnelle » et ainsi permettre une couverture de soins totale de toute la population, ce qui laisse supposer deux choses: soit que la couverture moderne était insuffisante, soit qu'une partie de la population n'avait recours qu'à la médecine traditionnelle, faute de moyens ou par choix et par conviction. D'ailleurs l'O.M.S. a tenté dans le monde en voie de développement de « recycler » les matrones, les arracheurs de dents, les sorciers ou exorcistes traditionnels pour « traiter » les malades mentaux, les rebouteux etc. démarche à analyser de façon plus sérieuse quant aux résultats obtenus. Reste à démontrer dans ces énormes groupements humains l'origine réelle de la révolution démographique, hygiénique, sanitaire. Les deux systèmes médecine moderne/ médecine traditionnelle ne se sont pas fusionnés ou harmonisés ou « créolisés ». Ils sont en constante dys-continuité, historique, culturelle, scientifique, socio-économico-politique dans le monde de l'islam.. On ne peut nier les apports incalculables de la médecine moderne (ou occidentale?) sur le visage médical du monde musulman. Coexistent actuellement des médecins musulmans « modernes » et traditionnels et dans ceux qui sont modernes une frange vent islamiser la modernité: on ne consulte pas les femmes le vendredi, les gynécologues doivent être des femmes, le jeune du Ramadan est permis quelque soit la pathologie etc.

          Mais avant de revenir sur le problème purement médical ou plutôt de psychiatrie culturelle il faut comprendre l'origine de l'opposition Tradition./Modernité qui est un problème majeur pour le monde musulman. Pour ma part je pense que c'est là le problème essentiel qui travaille cette aire humaine, tout le reste n'étant que des préoccupations annexes. Cette hypothèse est trop vaste pour être résolue par une personne. Mais il faut essayer de comprendre. Cette opposition prend ses racines inconscientes dans la haine nourrie au cours des siècles par deux communautés religieuses qui se sont réellement affrontées lors des guerres des Croisades et qui, depuis, n'ont pas pu par le fait de l'histoire dépasser ce différend. La modernité vient de l'occident/monde chrétien et à ce litre elle est objet de phobies et de contestations diverses. Le fait est si ancien que la langue française contient une interjection lourde de sens qui provient de la nuit des temps. On dit pour une démarche épuisante ou qui sera suivie d'échec: « c'est la croix et la bannière », signes symboliques sous lesquels se menaient les batailles pendant les Croisades entre chrétiens sous la croix et musulmans sous la bannière... Cette haine a été attisée par des moments très aigus: la chute de l'empire musulman d'Espagne est un bon exemple de moments historiques ou des pans entiers de l'histoire humaine s'écrivirent dans des violences et des actes dommageables pour tous.

         L'Empire de Grenade, dernier royaume nasride de L'Espagne musulmane s'effondra le 2 Janvier 1492. « La disparition du dernier Etat musulman d'Europe Occidentale non seulement bouleversait l'équilibre politique du monde méditerranéen mais encore mettait en péril le sort des populations minoritaires et la transmission d'un savoir extrêmement riche. » (B.Vincent, cf réf biblio.)

        L'observation de l'époque et son étude sont extraordinaires d'enseignements mais elle est trop complexe pour ce propos. Cependant: « En 150 1, ordre fut donné de brûler, dans le royaume de Grenade, tous les Corans, tous les livres ayant un lien avec l'islam. SEULS ETAIENT EPARGNES LES LIVRES DE MEDECINE ET DE PFUOSOPHOE... Dix ans plus tard, nouvelle chasse aux ouvrages, sans exception cette fois pour pouvoir les expurger ... Tout fut fait, y compris en recourant à l'inquisition, pour empêcher l'exercice de la médecine par les morisques. Le résultat fut la dégradation d'une science médicale qui, au fil des ans, sombra dans un banal charlatanisme... » (B. Vincent, id.). Ces événements sont au centre de cette démonstration:

1-       notion de xénophobie

2-       antagonisme religieux ayant incidence sur d'autres domaines non religieux

3-       état médical des populations concernées par la xénophobie et les antagonismes religieux et politiques.

 

         Donc les peuples et l'homme conçoivent, consomment et vivent leurs problèmes philosophiques et psychologiques en fonction de leurs époques, de leurs croyances et de leur culture ancestrale. Les musulmans d'Espagne qui avaient été le relais grâce à l'éclat très particulier de la médecine arabe avec la médecine grecque, romaine, indienne et persane disposaient d'une médecine de pointe pour l'époque qui devint inacceptable par les chrétiens pour des raisons politico-religieuses, phénomène vécu actuellement par les musulmans pour des raisons symétriques et inversées malgré le temps passé...et l'époque que nous vivons.

          Mais dans le cas envisagé de l'Espagne andalouse à la médecine très brillante (comme dans le reste du monde arabo-musulman de l'époque ou antérieurement avec Avicenne, Averroës, Ibn Omrane, Maïmonide, AI Kindy, AI Khawarizmi.. (.cf. « Une psychiatrie moderne pour le Maghreb », notes biblio.), le refus, l'anéantissement des Arabes passait par des autodafés gigantesques qui ont effacé un énorme savoir dans la vague de haine qui refuse l'Autre comme insupportable dans toutes ses dimensions, religieuses, éthiques, scientifiques, culturelles, etc.. Cette démonstration si nouvelle de Bernard Vincent sur la destruction du patrimoine scientifique et humain « mudéjare » est exemplaire de ce qui se pourrait démontrer dans ces propos. Les musulmans ont-ils la même approche que lui et peuvent-ils démontrer ce qui les affecte de la même manière?

         Quoique qu'il en soit, Yvonne Turin (cf. notes biblio.) l'a également démontré en Algérie à travers « les affrontements culturels », refusant toutes les formes de soins et d'instruction pendant la colonisation française qui a duré cent trente ans et n'a pas obtenu l'adhésion à la culture française, loin s'en faut si on considère l'état d'islamisation actuel de ce peuple et sa si importante revendication religieuse; certains s'accordent à dire que c'est parce que l'Algérie a été laminée par la colonisation à un point tel qu'il ne lui est plus possible que d'essayer de se reconstituer un visage arabo-musulman à travers la tourmente qu'elle vit actuellement. Les colonisés refusaient au Maghreb la médecine moderne comme une entité du savoir et de la science aux mains de ceux que l'on refusait de toutes ses forces et désespérément. Et même quand le refus s'atténue ou n'existe plus que dans certaines strates sociales, les attitudes et comportements venus du fond des âges resurgissent comme les coulées de lave des volcans arrivent avec des matériaux du centre de la terre quand se produit un tremblement de terre important. C'est ce à quoi on assiste aujourd'hui dans le monde musulman dans différents domaines et également dans ceux de la médecine avec toutefois une nuance, le rejet est moindre pour la médecine physique que pour la médecine psychique.

         Tout se passe comme si les greffons dans une société donnée sont inopérants et ne prennent pas car la culture ancienne nu traditionnelle réagit sans arrêt pour repousser ce qui est nouveau ou étranger. Cela persiste malgré parfois des siècles d'évolution; certains historiens ou philosophes des religions avancent même la théorie d'un recul des sens et des symboles religieux vers un « purisme » ou une orthodoxie qui n'ont même pas été ceux des moments fondateurs, et ce en réaction contre un matérialisme qui envahit toute chose et semble dominer ce siècle en particulier....

C'est ainsi par exemple que le domaine médical et psychiatrique se retrouve constamment sous l'emprise du religieux et cela grâce à deux catégories de faits:

1-       la médecine est fille de la magie et se nourrissait de religieux puisque la vie, la santé et la maladie et la mort sont au regard des musulmans un don et une décision de Dieu et donc une destinée inéluctable. C'est Dieu qui décide de la mort et toute tentative pour allonger la durée de vie est une velléité humaine. C'est la volonté divine qui crée une maladie ou qui apporte la guérison: pourquoi alors l'être humain devrait-il intervenir dans ces phénomènes? Dans le meilleur des cas, le médecin n'est que le médiateur à qui Dieu a permis de soigner ou de guérir grâce à Sa Volonté Divine. C'est pour cela que les Saints et les guérisseurs sont « aussi » efficaces symboliquement que les médecins ou les psychiatres.

2-       la médecine et la psychiatrie sont dans leur acceptation occidentale des greffons transférés dans le monde de l'islam. Elles ont tellement à voir avec l'intime, le sexuel, l'horrifique, l'angoisse, la notion de mort qu'elles dérangent la structure socioculturelle traditionnelle qui endigue et donne les réponses à toutes les préoccupations concernant l'intime, le sexuel, l'horrifique, l'angoisse et la notion de mort dans toutes ses implications, la sienne et celle des autres, la pudeur, le vécu du corps et la sphère instinctivo-affective et intellectuelle. Ainsi une femme musulmane dans certains pays ne peut être soignée par un médecin homme gynécologue obstétricien, même au péril de sa vie; il est inadmissible qu'une femme soit vue à ce degré d'intimité, de viol de la pudeur, dans la sphère sexuelle sacrée de la femme qui n'appartient qu'à un seul hom- me (« Honn », le sacré, l'inviolable est par dérivé le met épouse, en arabe )  ...

         Si on investit le domaine de la psychiatrie culturelle, la problématique devient telle que, par le REFUS de l'Autre, il y a des réponses culturelles à la maladie psychique qui font faire l'économie de la nécessité de la psychiatrie de type occidental. Il existe en fait des réponses, les attitudes traditionnelles des soins et des explications de la folie et des désordres psychiques, dans une conception magico religieuse qui s'est élaborée au cours des siècles avec tout l'héritage des peuples préislamiques que l'on décèle à travers des rites plus ou moins païens, certains symboles et croyances. La mondialisation de la médecine moderne ne fonctionne pas dans le domaine évoqué: on n'achète pas de la psychiatrie comme on peut acquérir un scanner ou un appareil quelconque d'enregistrement cardiographique ou encéphalographique ou autre. Ce n'est pas un « Sony » que l'on peut rapporter comme les marchandise du bazar mondial dont parlait V.S.Naipaul dans la phrase citée en exergue au début de cet article. Si un appareil équivaut à un autre, toutes les techniques sont mondialisables et créolisables dans leur utilisations locales mais les sciences et le savoir ne le sont pas forcément.

 

« La médecine comme tous les autres métiers n'est pas seulement soumise à certaines valeurs idéologiques et morales, elle est utilisée pour les préserver... ». / Docteur Naoual Saadaoui.

       Cette femme remarquable (cf. notes biblio.), médecin psychiatre égyptienne, emprisonnée pour délits d'opinion dénonce ce qui est intolérable pour elle dans la société arabe. L'un de ses écrits majeurs analyse la souffrance féminine comme inscrite dans le fonctionnement social même qui ne doit pas varier et fait porter le poids aux femmes qui n'ont aucun autre recours que la maladie psychique pour dire leur douleur intolérable dans le cas ou elles sont fragiles ou quand elles contestent le sort qui leur est imparti de toute éternité. N.Saadaoui est féministe, première chose intolérable car le féminisme est une importation occidentale. Elle récuse les mutilations sexuelles féminines, deuxième aberration de la part d'une femme. Elle est un médecin et un psychiatre formée à la science moderne, démarche irrecevable de la part d'une femme en plus: elle ne se contente pas de « bricoler » localement avec son savoir, ce qu'on lui permettrait à la limite de faire. Son essai est en fait une utilisation de la psychiatrie à des fins d'analyse et de description de la condition des femmes. Elle a pris ce droit de parler autour des expériences douloureuses des autres femmes, particulièrement mentalement inaptes et exclues socialement, seize portraits de malades et trois de femmes emprisonnées. Or si la situation des femmes arabes est la plus intolérable au monde objectivement, l'essai de Saadaoui basé sur une enquête sérieuse et approfondie et des interprétations qui, elles, restent à analyser, cet essai, donc est une dérive de sens à partir des outils occidentaux. C'est pour cela que le retour à une cosmogonie musulmane globalisante barre la route à de tels dérapages, insupportables dans leur nouveauté.

    Les cultures locales ont des diktats très contraignants à travers lesquels on ne peut passer outre. Les sociétés importatrices de « savoir » n'admettent pas ce qui a trait à l'individu, à la notion de liberté, (philosophique), d'hédonisme, (sexualité), à l'expérience de la gestion publique des peuples, (notion politique de personnes représentant toutes les autres qui prennent les décisions.)

       Les sciences comme la paléontologie, l'évolutionnisme darwinien des espèces, le freudisme, sont irrecevables car elles vont à l'opposé des conceptions et attitudes locales en fait de genèse, d'évolution et de gestion des peuples arabo-musulmans. L'anthropo-paléontologie prévoit que l'homme est une évolution- mutation à partir des branches et des espèces de primates avec des moments très précis dans la progression de l'adresse et de l'intelligence humaines. Cela est antinomique avec la conception religieuse de l'homme qui est divine et sacrée.

        Le freudisme est suspect d'athéisme mais de surcroît il favorise l'individualisme qui est, à n'en pas douter, le phénomène-clé de la structuration moderne et post-moderne des sociétés. Cela est en contradiction pure et simple avec la famille arabo-musulmane très nombreuse, grégaire et soudée; la notion de groupes, de clans, de tribus (les Arabes étaient les Bani  ...... fils de..., suivi du nom de tribu, de lignage, de père, dans la désinence absolue de l'ordre masculin), régissait le destin même de l'être humain, lui-même un élément diffus d'un tout qui est surinvesti par lui comme essentiel: la Umma ou « matrie » qui devient un sens cosmique lors du pèlerinage annuel à la Mecque ou trois ou quatre "lions de musulmans se dissolvent abandonnant leurs origines, leurs races et leurs schismes pour n'être plus qu'une même et seule aspiration vers le Dieu, unique, en soumission totale (El Islam, l'Islam signifie littéralement: la soumission totale à Dieu)

          La psychiatrie culturelle dans le contexte musulman devient alors et du fait de tout ce qui a été précédemment démontré une création encore à faire dans le domaine large du Savoir avec les outils que permettra la religion. Seront admis et utilisés les critères médicaux, génétiques, biologiques et même sémiologiques et psychopharmaco-thérapeutiques. Seront écartés tous les éclairages anthropologiques, psychanalytiques et sociologiques qui seraient en opposition avec l'orthodoxie musulmane qui régit absolument tout ce qui concerne l'être humain musulman. Il faut avoir expérimenté les théories culturelles de la psychiatrie et leur validité pour prendre la mesure de ce qui constitue l'un des phénomènes les plus imprévus et les plus extraordinaires de la fin du vingtième siècle, à savoir la revendication musulmane d'une science autre que celle qui prévaut dans l'ensemble du monde pour servir les membres de la communauté islamique mondiale.

       Ce qui est encore plus difficile à gérer reste l'implication d'un grand nombre de penseurs et de savants musulmans dans les processus modernes avec une pensée de type résolument moderne. Tout se passe comme si il existait des musulmans traditionnels, modernes et ceux qui cherchent entre les deux possibilités. Les savants et les penseurs sont dans le même cas étant entendu que né musulman, un être humain se définit d'abord par sa qualité de musulman qu'il ne perd jamais. Les penseurs musulmans modernes ne peuvent être modernes ou post-modernes que dans le « licite » musulman. Dès que leur pensée sort de cet état de fait, ils sont en état d'apostasie.

         Ainsi si l'on prétend que dépassée la superficialité ethnique et culturelle, l'organisation humaine de l'inconscient est universelle, il faudra prouver que rien dans l'universalité de l'inconscient n'est en désaccord avec les préceptes religieux. En d'autres termes, le complexe de l'Oedipe dans les stades de l'évolution psychologique infantile, ne saurait être pris comme un postulat: qu'est-ce que cet enfant surpris de haine pour son parent homologue et séduit par son parent hétérologue? Les parents sont de l'ordre de la sacralité et il est donc impensable que les fantasmes comme les puisions contreviennent à l'ordre implacable de l'univers cosmogonique islamique.

        Ces exemples ne sont qu'un détour pour prouver que le monde musulman entre dans une ère dévolution imprévisible que les penseurs occidentaux auront beaucoup de mai à percer. Ce seront les penseurs musulmans « hybrides » qui auront à résoudre toutes ces inconnues, hybrides dans leurs savoirs, dans l'utilisation de leurs connaissances et dans leurs bipolarités traditionnelles et modernes. Les psychiatres sont dans le même cas ou pire ils sont à l'interconnexion entre le psychisme et le savoir, ce qui en fait l'avant-garde de toute la société islamique. Elle a besoin de ses Freud et de ses Lévi-Straus qui n'apparaissent pas encore comme Ibn Khaldoun en son temps. Il faudrait une étude anthropologique du « Savoir » pour avancer dans toutes ces « Terrae Incognitae ». Je retiens la conclusion de G.Bibeau qui va exactement dans le sens de ce questionnement angoissé sur l'avenir du monde de l'Islam: « nous avons abordé une période d'incertitude et d'ambiguïté qui place la psychiatrie culturelle et l'anthropologie médicale comme de possibles sciences subversives... ». On peut l'entendre comme des sciences possiblement subversives, ce qui a été démontré au moins un peu dans les propos précédents. Il faut cependant garder présents à l'esprit que ce que Biseau appelle « une stratégie cachée désespérée de l'impérialisme occidental qui combat avec de vieilles et nouvelles armes pour maintenir sa souveraineté sur le monde entier.. » peut être reprise à l'extérieur de ce monde occidental pour servir d'autres fins tout aussi subversives. La solution n'est-elle pas justement dans une approche anthropologique de l'être humain enfin universaliste et globalisante?

          Il n'y a pas si longtemps le balancement dans la psychiatrie culturelle consistait à rétablir l'équilibre en permanence entre le social et le psychologique pour une compréhension meilleure de toutes les problématiques. Aujourd'hui la réalité des socio cultures permet de considérer le monde en situation d'égalitarisme, ce qui évitera de diviser et de cliver les groupements et les êtres humains pour les comprendre et les aider, comprendre est de l'ordre du savoir, y compris celui de la psychiatrie culturelle, et aider est de l'ordre de traiter, but ultime de tout savoir y compris les sciences du psychisme. Le savoir doit évidemment devenir plus équitable entre toutes les socio cultures du monde. Actuellement le principe des discontinuités anthropologiques interdit cette approche dont on ne pourra faire l'économie à long terme. Le préfixe de « dys » souligne que les sociétés et cultures humaines ne fonctionnent encore ni en synergie ni en harmonie et c' est là toute la complexité du problème et de la psychiatrie culturelle.

 

Document Code VP.0056

Rita.Anthropologie

ÊÑãíÒ ÇáãÓÊäÏ  VP.0056

 

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